Ravi Menon (Autorité Monétaire de Singapour) : “Les banques manquent d’une vision complète des besoins de leurs clients”
Ravi Menon (Autorité Monétaire de Singapour) : “Les banques manquent d’une vision complète des besoins de leurs clients”
Un article mindFintech
Dans une conférence donnée à la Banque de France en mai 2019, le gouverneur de l’Autorité Monétaire de Singapour a développé sa vision du futur de l’industrie financière. L’évolution du secteur ne peut se faire selon lui sans s’appuyer sur les trois pieds que sont la finance pure, la technologie, et la confiance.
La finance, la technologie et la confiance. C’est sur ces trois piliers que Ravi Menon, Gouverneur de l’Autorité Monétaire de Singapour (AMS), considère que l’évolution de l’industrie financière doit s’appuyer. Car “pour maintenir notre croissance, l’innovation est un passage obligé”, a déclaré lors d’une intervention à la Banque de France le 14 mai 2019 celui qui dirige l’AMS depuis huit ans. De concert avec son homologue français François Villeroy de Galhau, Ravi Menon constate effectivement que l’industrie financière est en butte au ralentissement persistant de l’économie, auquel s’ajoutent “des régulations toujours plus strictes et une compétition accrue”, et qu’il est nécessaire de trouver des leviers pour y répondre.
La finance, donc, coeur de métier, en est un. Mais “les utilisateurs trouvent cette industrie trop compliquée à approcher”. Ravi Menon prévient : “certains commencent même à perdre confiance, à ne plus considérer que les banques sont capables de gérer leur argent !” Un paradoxe qu’il explique notamment par le manque de vision cohérente et complète qu’ont les banques des besoins de leurs clients. Le besoin de s’adapter et celui de mettre l’expérience client au centre des activités sont grands. Et pour y parvenir, la technologie est “un facteur critique de succès” insiste cet ancien secrétaire du ministère des finances singapourien.
Expérience client et interopérabilité
Car l’usage accru des données, les innovations des fintechs et des bigtech, les nouvelles technologies en elles-même permettent d’améliorer l’expérience client, et de la rendre “complète, personnalisable, et sans friction”. C’est aussi avec ce parcours utilisateur en tête que Ravi Menon milite pour l’interopérabilité entre les services imaginés par les acteurs traditionnels comme par les fintechs. Un programme sur lequel l’AMS travaille déjà à sa manière, lorsqu’elle promeut le système de paiement instantané par téléphone PayNow institué par neuf banques de la petite République asiatique, ou via le projet Ubin, qui utilise des technologies de registres distribués pour tester actuellement des échanges transfrontaliers instantanés avec le Canada ou la Thaïlande.
Point de vue business, la technologie permet aussi d’améliorer la gestion du risque et d’améliorer la rentabilité, ne manque pas de souligner le gouverneur de l’AMS. A la question de KPI démontrant l’efficacité de l’usage des technologies pour l’industrie, il cite les coûts de traitement d’un chèque (au moins un dollar pour chaque) et du cash. Ravi Menon vise clairement la disparition du premier et la réduction significative de l’usage du second, “ce qui permettrait de gagner sur les coûts de traitement, de transport des fonds, de sécurité…”
Des modes de régulation voués à évoluer
Mais pour que tout cela fonctionne, le dirigeant de l’AMS, d’un commun accord avec le Gouverneur de la Banque de France, souligne le besoin de travailler la confiance. Gérer le risque cyber pour assurer la pérennité des systèmes est une urgence : “En moyenne, aujourd’hui, il faut 78 jours pour détecter une intrusion. Cela doit changer !” lance-t-il. La sécurité des informations est le pendant de la cybersécurité sur lequel banque et régulateurs doivent aussi se pencher, autant pour des raisons business que pour s’assurer la confiance des clients. “Ce qu’il est socialement acceptable de faire avec des données varie énormément d’un pays à l’autre” note-t-il, soulignant la nécessité de dessine une gouvernance forte sur ces thématiques sur lesquelles “les Etats-Unis et la Chine ne sont pas tellement avancés.”. C’est aussi sur la gestion des risques de l’usage d’intelligence artificielle et du big data qu’il voit se dégager un rôle important pour les régulateurs : “sans confiance envers les règles fixées, envers l’usage et les analyses réalisées, les acteurs financiers n’auront simplement pas la licence, l’autorisation sociale d’utiliser ces données.” Et de citer les règles préliminaires (purement indicatives pour le moment) qu’a établies l’AMS à propos de l’usage de l’intelligence artificielles.
Mais Ravi Menon n’envisage pas l’évolution globale de l’industrie sans accompagnement cohérent des instances régulatrices. Alors que les fintech bousculent le marché en morcelant la chaîne de valeur, le Gouverneur de l’Autorité Monétaire de Singapour imagine donc une régulation morcelée elle aussi, “qui ne s’intéresserait plus à des secteurs financiers entiers, mais bien à chaque activité qui le compose”- et permettre ainsi aux nouveaux entrants de ne demander que les licences qui les intéressent précisément, plutôt que de devoir se plier à des règles pensées pour des institutions aux activités pus larges et plus risquées. Une vision que l’on retrouve déjà dans certains secteurs, celui des paiements notamment : en Europe, où il est possible de ne demander qu’un agrément précis (AISP ou PISP par exemple), mais aussi à Singapour, où la récente loi sur les services de paiement a séparé en 6 chapitres ce qui n’était autrefois régulé que d’un seul tenant.
par Mathilde Saliou