Comment les banques soutiennent l’employabilité de leurs salariés

Comment les banques soutiennent l’employabilité de leurs salariés

Un article mindFintech

En pleine transformation numérique, les banques françaises doivent faire face à de nouveaux besoins en termes de compétences chez leurs salariés. Tour d’horizon des programmes mis en place dans six grandes banques françaises pour accompagner leurs collaborateurs vers de nouveaux métiers.

La transformation des métiers est un sujet majeur pour les banques. “Avec le digital, les compétences d’hier ne sont pas celles qui sont attendues aujourd’hui”, commente Sébastien Lourdin, responsable du service gestion RH et mobilité du Crédit agricole Ile-de-France (Cadif). L’évolution vers de nouveaux savoir-faire est un défi colossal et les banques françaises sont en train de s’équiper d’outils innovants pour le surmonter.
“Quand nous faisons notre GPEC, c’est-à-dire la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences [équivalent du SWP, strategic workforce planning, ndlr], nous identifions les compétences dont on aura besoin dans le futur et nous étudions l’écart avec les compétences que nous avons actuellement chez les salariés. Puis, nous établissons un plan d’évolution”, décrit Cristèle Pernoud, responsable du programme de gestion des compétences ACE chez Société Générale.
Problème : la plupart des banques n’ont pas actuellement à disposition dans leurs systèmes RH une base de données satisfaisante sur les compétences de leurs salariés. Leur cartographie représente donc le premier défi. “C’est une donnée stratégique pour le développement de nos collaborateurs, assure Cristèle Pernoud. Les managers ont besoin d’identifier rapidement où ils peuvent dénicher des compétences spécifiques pour un projet donné et les salariés, quant à eux, veulent valoriser leurs compétences.”

Cartographie des compétences

Plusieurs grandes banques françaises ont donc fait appel à la start-up 365 Talents, qui commercialise une plateforme SaaS d’autodéclaration de compétences. Les salariés indiquent leurs expertises avec leurs propres mots – qui peuvent d’ailleurs aller au-delà de celles requises pour leur métier (associatif, expériences passées…). Les utilisateurs peuvent tout de même commencer par connecter leur profil LinkedIn ou leur CV afin de préremplir et détecter des compétences, avant de compléter ou modifier les données. Par contre, contrairement à d’autres solutions comme boost rs ou Monkey tie, 365 Talents ne recourt pas à l’intelligence artificielle pour faire de l’auto-complétion et de l’aide à la réflexion.


Les compétences ne doivent pas être validées par un manager ou par un pair : le salarié est totalement maître de sa déclaration. “Nous n’avons pas de problème de surévaluation. Souvent, on se rend compte plutôt qu’il a tendance à se sous-évaluer”, affirme Sébastien Lourdin, du Cadif, qui fait partie des clients de la start-up. La banque a passé en revue 54 start-up en mesure de répondre à son besoin puis en a reçu cinq avant de choisir 365 Talents (qui compte par ailleurs Crédit Agricole Création à son capital). “365 Talents est agile et a été capable de présenter en quelques jours une réponse à notre expression de besoin”, souligne Sébastien Lourdin.


La société revendique une quinzaine de clients grands comptes, dont la moitié en banque et assurance, dont April, Allianz ou la Caisse des Dépôts. Société Générale utilise également l’outil dans le cadre d’un programme de déploiement baptisé ACE. “La plateforme construit dynamiquement le référentiel grâce à l’analyse sémantique du langage naturel, raconte Cristèle Pernoud. Elle ne se repose donc pas sur un référentiel de compétences prédéfini et figé – très fastidieux à constituer compte tenu de la diversité des métiers et leur granularité – mais le conçoit dynamiquement à partir des compétences que les collaborateurs déclarent avec leurs propres mots.” Le CEO de 365 Talents, Loïc Michel, indique recenser plus de 12 000 nouvelles compétences chaque mois chez Société Générale.

Des projets plus larges de RSE

Au Crédit Mutuel, la réflexion concernant la cartographie est également en cours. “Nous avons pour projet la création d’un référentiel de compétences qui viendra irriguer tous les process RH et de formation d’ici la fin de l’année”, annonce Reynald Chapuis, nommé DRH dédié à la transformation digitale chez Crédit Mutuel Alliance Fédérale il y a un an. Une création de poste qui montre l’importance accordée par le groupe à ce sujet. “Nous avons réalisé un PoC pour étudier comment nous pourrions faire évoluer notre référentiel de compétences. Nous avons finalement décidé de le faire évoluer en amélioration continue plutôt que de le réécrire complètement ; et nous souhaitons passer d’une logique métier à une logique compétences”, précise Reynald Chapuis.

Un premier outil a été lancé avec la société Isograd pour évaluer les compétences des conseillers sur les outils numériques, via une certification interne (de type TOSA), et les aider à progresser en la matière. Les salariés pourront se positionner sur sept niveaux d’expertise, en utilisant la solution de manière anonyme autant de fois qu’ils le souhaitent pour se former.
Crédit Mutuel prépare aussi la mise en place d’un réseau social à l’échelle du groupe, pour encourager la collaboration entre les entités. “Dans ce cadre, les collaborateurs pourront décrire qui ils sont et leurs compétences, détaille Reynald Chappuis. Cette acception des compétences va varier d’une organisation à une autre, mais l’important est de réussir à transformer des objectifs pédagogiques en acquisition des compétences.” À terme, le responsable veut pousser les services RH dans “une vision de marketplace, de plateforme de services à mobiliser” où les collaborateurs pourront s’évaluer et se voir proposer des formations correspondant à leur projet professionnel.

Enfin, chez Arkéa, la volonté de refondre l’intranet s’est transformée en un projet plus ambitieux de réseau social d’entreprise. Le dispositif prévu comprendra notamment la création d’une base de données des talents et des compétences, signale Morgan Marzin, nommé fin 2017 pour diriger une mission de deux à trois ans dédiée à la transformation managériale et RH du groupe. Des PoC auront lieu en 2019 sur le sujet.

, nommé fin 2017 pour diriger une mission de deux à trois ans dédiée à la transformation managériale et RH du groupe. Des PoC auront lieu en 2019 sur le sujet.

Mobilité interne

Une fois réalisée, la cartographie permet de favoriser la mobilité interne et l’employabilité des salariés. “365 Talents rapproche les compétences déclarées par le collaborateur avec les compétences attendues des postes à pourvoir en interne et va proposer des fiches descriptives des postes ouverts dans tout le groupe à l’international”, considère Cristèle Pernoud, de Société Générale. Surtout, “la plateforme nous permet d’imaginer des passerelles en fonction des compétences et non de poste à poste.”

L’identité professionnelle du collaborateur ne se résume donc plus à son poste mais “à toutes les compétences acquises au cours de sa carrière” et une palette plus large de savoir-faire est mise en avant, fait-elle valoir. “Cela permet au collaborateur de se valoriser et de réfléchir à son projet professionnel. Quant au manager et au chargé RH, ils peuvent identifier rapidement les compétences pour un projet ou un poste”, estime Cristèle Pernoud. Les modalités de communication des annonces de postes auprès des salariés diffèrent selon les établissements. Le Cadif a par exemple opté pour des notifications mail, tandis que le salarié de Société Générale doit se rendre sur la plateforme pour les consulter.

Orienter vers la formation

BPCE, qui a également testé 365 Talents, a finalement choisi la solution de la start-up WiserSkills. “365 Talents était plus innovant puisque l’outil est basé sur l’intelligence artificielle et supprime toute notion d’un référentiel préétabli, reconnaît Serge Derick, directeur stratégie et développement social DRH. Mais WiserSkills répondait davantage à nos besoins de tracer la montée en compétence et était déjà opérationnel sur ce sujet.” Car, une fois la cartographie réalisée et la mobilité interne favorisée, la formation et la montée en compétences vers les nouveaux métiers représentent le troisième enjeu de taille pour les banques.

Un PoC a été développé avec WiserSkills et BPCE s’apprête désormais à entrer en production. Concrètement, des quiz permettent aux salariés de se positionner sur des compétences prédéfinies puis l’employeur peut leur proposer des postes correspondants. “Nous pouvons ensuite faire vivre les référentiels en les adaptant aux situations locales”, ajoute Serge Derick.

Société Générale a aussi prévu “de se pencher davantage prochainement sur les compétences à développer”, dévoile Cristèle Pernoud, sans préciser encore les contours du projet. Le CEO de 365 Talents explique en tout cas que la plateforme “s’interface avec des outils de formation, et le moteur d’analyse peut proposer des formations adaptées aux opportunités de poste ou de mission suggérées”.

Déploiement et adoption

Chez Société Générale, après un PoC mi-2017 auprès de 1 200 salariés, un passage à l’échelle a été organisé en avril 2018. 30 000 collaborateurs de 14 pays ont été invités sur la plateforme et 12 000 nouvelles compétences sont déclarées chaque mois. 17 000 opportunités ont été identifiées et proposées aux collaborateurs en fonction de leurs compétences. “Le taux de création de profil dépasse les 50% pour certains environnements”, se félicite Cristèle Pernoud. La plateforme est déjà disponible en français et en anglais et le déploiement va continuer progressivement pour couvrir les 147 000 collaborateurs du groupe. La totalité des métiers sont déjà couverts par le référentiel dynamique.

Reste à savoir comment faire accepter ce nouvel outil aux salariés. Les banques mettent l’accent sur le volontariat. Chez Société Générale, tous les collaborateurs sont invités à se créer un profil mais ce n’est pas obligatoire – la banque des emplois et les fiches métiers sont de toute façon accessibles à tous les collaborateurs. “Cela intéresse particulièrement ceux qui sont en mobilité et qui sont très intéressés par les postes ouverts, note Cristèle Pernoud. Ceux qui ne le sont pas se tourneront surtout vers les fiches métiers, pour réfléchir à leur futur projet professionnel. Et si une fiche métier les intéresse, ils pourront identifier les compétences à développer.”

La banque a mis en place des procédures d’accompagnement du changement, à la fois auprès des collaborateurs mais aussi des managers et des RH. Des ateliers de démonstration ont été organisés. “Petit à petit, on ancre la plateforme dans le quotidien des collaborateurs, managers et RH. Par exemple, on va conseiller de l’utiliser avant un entretien RH”, relève Cristèle Pernoud.

Chez BPCE, les PoC menés avec quatre entités (des réseaux Banque Populaire et Caisse d’Épargne) ont été réalisés en impliquant des salariés sur des périmètres restreints. “Un outil ne vaut que par l’usage et la manière dont il s‘insère dans les pratiques managériales de l’entreprise et surtout par l’embarquement des managers et collaborateurs”, conclut Serge Derick.

La formation de plus en plus mobile

Les modalités de formation, elles aussi, évoluent. Chez Cadif, la formation présentielle en externe, dont “le résultat sur l’acquisition des compétences n’était pas évident”, selon Sébastien Lourdin, est plutôt remplacée par d’autres formats. Un MVP a été créé fin 2017 avec la start-up Smart Hanson, spécialisée dans la gamification. Une plateforme a vu le jour : “un mélange de micro-learning, de questions sur des thématiques particulières et de montée en compétences, matérialisée de manière gamifiée par des niveaux.” Cette expérience basée sur le volontariat a enregistré 80% de participation de la part du réseau et deux tiers des collaborateurs du réseau ont réalisé plus de trois quarts des jeux. D’autres projets verront le jour avec la start-up. La banque donne aussi accès pour ses salariés à Koober, start-up proposant des résumés de livres sur divers sujets, notamment liés au numérique.

Chez BPCE, les salariés peuvent se former au digital sur B’digit, une plateforme d’acculturation, et bénéficier de formations sur le site d’e-learning Click and Learn. Au Crédit Mutuel, qui fait état d’un budget formations de 6,5% de la masse salariale, la moitié des heures de formation concerne les nouvelles activités et la moitié le développement de compétences pour accéder à des promotions. “Nous utilisons de plus en plus du distancié et de la visio”, explique Reynald Chapuis, DRH en charge de la transformation digitale. Même chose à la Banque Postale, qui propose désormais des formations “en salle, mais aussi sur son ordinateur au bureau, en e-learning, et même sur son smartphone pro, en classe virtuelle, pour être au plus proche de l’apprenant dans la transformation de son mode de vie”, décrit Régis Meunier, directeur de l’École de la Banque et du Réseau. Le présentiel est passé de 69% des formations en mars 2017 à 50% fin avril 2019.

Régis Meunier travaille aussi à “adapter les formations dispensées aux compétences projetées sur nos métiers de demain”. Un outil a ainsi été développé il y a deux ans pour accompagner le passage dans les services financiers de La Poste à des postes de back office pour du front ou du middle : “il scanne les compétences de chacun via des quizz et oriente vers des solutions de formation pour répondre aux besoins des nouveaux postes. Cela a été testé sur une partie des collaborateurs et l’outil sera généralisé cette année.”

par Aude Fredouelle

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